« Rien n’est important à part que je vous aime. Ne vous inquiétez pas, je suis prête… »

Ces mots, ma mère me les a répétés durant six mois. Ils résonnent encore en moi, comme un doux écho alors qu’elle vient de mourir.

 

Ce qui nous rapproche

 

Mon témoignage sur la fin de vie de ma mère n’a rien d’extraordinaire, car la mort est la chose la plus commune qui soit. Pensez-y : à chaque instant, naissent de nouveaux êtres humains, en même temps que d’autres décèdent. Le cycle de la vie et de la mort se poursuit, sans pause.

Phénomène universel, incontournable, naturel, la mort reste pourtant le mystère le plus absolu, et pour la plupart des humains, le plus effrayant qui soit. Jusqu’au jour où…

L’expérience vécue avec ma mère fut bouleversante, et porteuse d’un message de sagesse si profond pour moi que j’ai ressenti l’envie de raconter. 

 

Au-revoir maman

 

Marseille, clinique Sainte Elizabeth. 17h10. Je serre la main de ma mère dans la mienne. Je viens d’arriver d’urgence de Paris, à temps pour ses derniers instants. Ma tante, puis ma sœur, arrivées avant moi, l’ont aidée à maintenir la fragile étincelle de vie dans son corps. «Reste encore un peu, elle arrive.».

Où trouve-t-elle une telle force pour retarder sa mort ? Ce phénomène est fréquent. Certains médecins ont même rapporté que des malades souffrant de dégénérescence mentale et physique se sont parfois remis à parler normalement, reconnaissant leurs proches quelques heures avant leur mort, alors qu’ils n’en étaient plus capables depuis des années, un peu comme si l’ acteur principal revenait saluer une dernière fois son public chéri et le remercier de sa présence tout au long de la pièce.

« Maman, je suis là maintenant ».

Le temps semble s’être arrêté, et comme moi, il est suspendu à la respiration saccadée de ma mère, qui agite son corps, si petit dans l’immense lit blanc. Je comprends qu’elle essaye de parler. Alors, spontanément, je murmure en son nom: « Je suis prête. Ne vous inquiétez surtout pas. Je vous protègerai toujours. Je vous aime.»

Puis je pose une main sur son coeur, et je murmure : «Nous aussi nous sommes prêtes. Tu peux partir maintenant. A bientôt. Nous t’aimons. »

Au moment où je prononce le dernier mot, je fais le geste symbolique de retirer un bouchon virtuel au sommet de sa tête, comme pour libérer son esprit. Je sens que c’est ainsi que j’ai envie de participer à ce passage.

Immédiatement, sa respiration se calme. Elle s’endort. Définitivement.

 

 

Un ange passe

 

Où es-tu à présent ? Voles-tu toi autour de nous, aussi légère qu’une plume d’ange ? 

Elle avait espéré une telle fin. Nous aussi. Elle avait hâte depuis des mois. Elle me disait qu’elle avait l’impression de se préparer pour son mariage, un symbole d’ailleurs fréquent dans les rêves de mourants.

Avant cela, elle avait voulu se délester de tout, que ce soit de ses affaires que des rancoeurs ou des histoires passées. Son corps lui-même, elle en avait fait don à la science, se débarrassant en même temps de son lien avec lui.

« Je ne suis pas ce corps ». Elle parlait de lui comme d’un véhicule cassé dont elle voulait s’extraire puisqu’il ne fonctionnait plus. Manger seule, marcher, lui était devenu impossible. Il y avait son esprit d’un côté, et de l’autre son corps. Les deux ne se mêlaient que lorsqu’elle souffrait, mais elle l’oubliait ensuite quand elle trouvait encore la force d’écrire, de coudre, ou de fabriquer des tableaux de papiers découpés. Ma mère avait des doigts en or.

Je sens maintenant que ma mère est infiniment grande. Comment ce corps d’à peine 1m50, et si maigre, a-t-il pu contenir une âme aussi gigantesque?

La douceur de ce départ me laisse étrangement apaisée, et pleine d’espoir quant au moment où viendra mon tour.

Apaisée. Sereine. Silencieuse.

Ce n’est que le lendemain que vont se télescoper en moi soulagement, tristesse, vide, manque, nostalgie, amour…

Pour l’heure, son visage est habité d’une lumière translucide, tellement détendu que ses rides se sont effacées. Même sa cicatrice à la joue – conséquence de la variole qu’elle avait contractée enfant – a disparu.

Comme le sillage du bateau qui s’efface une fois que rien ne vient plus agiter la surface de l’eau, le visage de ma mère sur lequel son histoire était inscrite ne porte plus à présent de trace du passé. 

17h20. Tout est calme, le soleil se couche, la nuit vient de tomber. La lune se lèvera bientôt. Tout est dans l’ordre des choses. La Terre continue de tourner.

 

L’expérience sacrée 

 

Accompagner un proche dans la mort est une expérience sacrée, qui laisse des traces profondes. 

Soudain ramenés à l’essentiel, nous nous sentons plus que jamais vivants et nous nous retrouvons confrontés aux grandes questions existentielles : Qui suis-je ? D’où venons-nous? Où allons-nous après la mort?

Le départ de nos proches génère en nous de la tristesse. C’est normal bien sûr, mais c’est aussi une convention, au point que nous culpabilisons si nous n’en ressentons pas assez. J’ai souvent reçu des patients qui culpabilisaient de n’être pas si désespérés, comme si l’intensité de la tristesse confirmait l’intensité de leur amour.

N’ayons pas honte de ressentir du soulagement quand la personne aimée souffrait d’une maladie difficile. La mort vient aussi réajuster nos priorités, nous fait relativiser nos tracas et nos soucis quotidiens. La sensation du moment présent s’intensifie, et l’envie d’exprimer plus clairement son amour à ceux que l’on aime devient impérieuse.

Aussi, j’ai senti à chaque départ d’un être aimé un nouvel équilibre, comme si mon centre se déplaçait, à la frontière entre deux dimensions séparées jusque-là par des années lumières, et qui se rejoignaient finalement au coeur de moi-même.

Et quand, en plus, les rêves s’en mêlent, sans compter les synchronicités de la vie, alors cette phase si redoutée devient singulière, empreinte d’un mystère fascinant.

Or, face à la mort annoncée, nous nous trouvons souvent démunis, tant nous l’avons occultée dans nos sociétés. Pourtant, nous pouvons tous, sans exception, faciliter le passage de nos proches, et même, grâce à sa proximité, nous réparer nous-même sur de nombreux plans.

 

Pourrions-nous envisager la mort sans en frémir ?

 

Elle est inéluctable, et elle peut être vécue autrement que comme une injustice ou un drame insupportable.

La mort – ou plutôt la transition – ne nous amène-t-elle pas à nous rapprocher de nos origines, de notre « vraie nature », et à remettre en cause ce que nous croyons être :  un corps, éphémère, et une histoire, temporaire?

Pourrions-nous considérer nos vies comme une pièce de théâtre dont la fin ouvre sur des retrouvailles, dans les coulisses, avec les comédiens qui nous ont donné la répartie? Les lumières ne se rallumeraient-elle pas une fois notre histoire terminée?

Avec mon témoignage, j’aimerais vous inspirer une autre perception de ce passage, en évoquant comment j’ai accompagné les derniers instants de ma mère.

 

Il sera question de RÉPARATION, de TRANSFORMATION, de DÉPOUILLEMENT (d’identités en particulier), de PARDON, d’AMOUR. J’évoquerai bien entendu les RÊVES et les SYNCHRONICITÉS qui nous ont accompagnées tout au long de ce parcours de fin de vie. Enfin, je partagerai avec vous mon « outil de réparation », qui sert pour toute relation, quelle qu’elle soit.

 

Nos rêves nous préparent 

Les rêves des personnes confrontées à la mort montrent tous que l’inconscient, c’est-à-dire notre monde instinctif, ne prépare pas la conscience à une fin totale, mais bien plutôt à une profonde transformation et donc à un mode de continuation du processus vital que notre conscience ordinaire ne nous permet pas de saisir. 

Marie Louise von Franz, Les rêves et la mort.  

 

A la frontière des deux dimensions, visibles et invisibles, se tiennent les rêves. Les informations circulent entre deux mondes, et nous pouvons y accéder au travers de nos rêves. Oui, ils savent ce que nous ne savons pas.

Un an avant, j’avais rêvé ceci :

Je suis avec ma sœur en voiture. Nous avons décidé d’aller chez ma mère fêter ses 80 ans et d’en faire un événement spécial. La voiture est remplie d’outils en prévision de travaux et de réparations diverses car nous avons l’intention de préparer sa maison avant l’événement.

En quoi ce rêve annonçait la fin de la vie terrestre de ma mère ?

  • L’anniversaire : Cest la célébration de la naissance de ma mère, et 80 ans est justement son âge au moment de sa mort. C’est un événement spécial, dit le rêve. Pas un anniversaire habituel. Nous ne soupçonnions pas qu’elle allait partir l’année d’après. Son monde intérieur le savait déjà semble-t-il. Il associait la mort à une célébration. Nous allions donc la rejoindre, pour honorer son histoire. Elle me le répétait : « on dirait qu’on va célébrer ma fête ou mon mariage », en me parlant de son RDV avec l’au-delà alors que je pliais son pyjama vietnamien blanc qu’elle désirait porter ce jour là.
  • Pourquoi des outils dans la voiture ? Je l’ai compris par la suite : les outils permettent de réparer, de rénover. Ici, ils représentaient la réparation, en l’occurrence de notre relation. Donc, avec mes outils (dont je vous parlerai tout à l’heure), j’avais à préparer et réparer, à participer à nos retrouvailles. Ce fut le cas ! Il faut dire que ma sœur et moi nous tenions depuis des années à distance de ma mère, nous protégeant de ses crises incontrôlables terribles. Alors aller à son anniversaire, même en rêve, nous paraissait improbable. Mais il semblait avec ce rêve que le RDV était prévu, que les retrouvailles étaient planifiées.

 

D’autres rêves suivirent…

  • Quinze jours avant son décès, j’avais rêvé qu’après avoir passé du temps avec elle à la clinique, à la sortie de sa chambre, les infirmiers s’étonnaient : « Elle est morte depuis plusieurs jours. « – Non, m’exclamais-je en rêve,  je viens de la voir ! » Personne ne me croyait. Aurais-je vu son fantôme ? Son esprit était-il déjà ailleurs alors que son corps était devant moi?
  • Dans un dernier rêve, reçu une semaine avant son départ, je venais encore une fois la visiter à la clinique, mais cette fois, elle n’était plus dans son lit. Sa chambre avait été préparée pour un autre patient.

 

De tels rêves, j’en ai reçu beaucoup aussi durant la fin de vie de ma sœur, dont un clairement prémonitoire. J’en ai reçus aussi après la mort de mon père où il venait me parler.  La visite en rêve de nos proches décédés est fréquente. Les prémonitions aussi (mais rassurez-vous, si vous rêvez de la mort d’un proche, c’est le plus souvent symbolique!)

Les rêves sont toujours à nos côtés lors du Grand Passage, que ce soit dans les rêves des accompagnants ou dans ceux des personnes en fin de vie. Ils nous préparent, nous éclairent, nous informent, nous relient.

Y aurait-il un « plan » invisible, qui sous-tend nos vies? 

 

 

Au pays du Soleil Levant

 

Ma mère aussi a rêvé de sa propre mort, comme pour tous ceux qui sont sur le départ. Dans son rêve, elle se préparait à partir au Japon. Elle voyait un beau paysage de montagnes enneigées. Elle a reçu ce rêve deux nuits de suite, exactement le même scénario.

L’insistance des rêves alertent sur l’importance du message délivré. 

Le Japon, symbole du retour aux sources : Pour ma mère, le Japon, évoque la sérénité, la paix et la pureté, le bout de notre monde, et aussi l’Asie, qui est pour elle le retour à la Source,  puisqu’elle est asiatique. Le japon, c’est aussi le pays du soleil levant, encore un symbole qui suggère, comme l’anniversaire, que la mort ouvre sur un nouveau jour, et non sur une fin sans lendemain.

Dans d’autres rêves, elle retournait au Vietnam, son pays d’origine, confirmant qu’elle retournait bien à ses origines, revenant à la source de son existence. En fait, si nous voulons savoir qui nous sommes, c’est en retrouvant « l’avant », en revenant à la Source, et non en cherchant dans l’avenir, l’après. Notre quête effrénée du bonheur dans un futur meilleur, nos anticipations de l’avenir vers lequel nous voulons tendre… Ne projetons-nous pas notre quête dans la mauvaise direction?

Remonter à la source : là est le chemin. Revenir à soi. En Soi. C’est un connu que nous cherchons, non un inconnu.

Ma mère rêvait aussi de proches décédés, dans des retrouvailles avant l’heure. Ceux qui l’attendaient semblaient eux aussi prêts à l’accueillir.

 

Carl Gustav Jung, et son expérience de mort imminente (EMI) : Ma maladie a été pour moi une expérience extrêmement précieuse (…) Lorsqu’on parvient à se débarrasser de la volonté furieuse de vivre et qu’on a l’impression de tomber dans un brouillard sans fond, commence la vraie vie, avec tout ce pourquoi on était fait et qu’on n’avait jamais atteint. C’est quelque chose d’indiciblement grand. J’étais libre, complètement libre et j’éprouvais des sensations totalement nouvelles..

 

 

Quand la Nature s’en mêle

 

Comme si les rêves ne suffisaient pas, la vie aussi nous prépare.

La messagère aux ailes noires : la veille de la mort de ma mère, une magnifique corneille, aux plumes aussi noires que la nuit, s’est posée sur le rebord de ma fenêtre, me regardant longuement avec insistance.

Je sentais qu’il y avait là un signe. Je ne soupçonnais pas que ce serait pour le lendemain. La croyance populaire dit que la corneille est messagère de l’au-delà, porteuse du mystère de la vie et de la mort, prophétesse.

 

 

Jeux d’ombre et de lumière

 

Mettre l’homme en face de son ombre cela veut dire aussi lui montrer sa lumière. Il sait que l’ombre et la lumière font le mondeCarl Gustav Jung

 

Je repense à ces six derniers mois durant lesquels j’ai accompagné ma mère dans sa dernière phase de vie. Je n’ai qu’un mot pour le décrire : époustouflant !

De colérique et violente, ma mère est devenue aimante et tendre, la mère idéale.

Autrefois, ses ombres ne se révélaient qu’en présence des intimes, de la famille, de nous surtout, ses filles. Nous étions son miroir direct, porteuses du souvenir de blessures qui se ravivaient en notre présence, parce qu’enfant elle avait été maltraitée. Mal aimée, elle ne s’aimait pas, et forcément, elle ne pouvait pas « bien aimer » sa progéniture qui lui ressemblait. Elle nous aimait, oui, mais mal. Violemment, avec rage.

Les autres, les connaissances, les inconnus, suffisamment distants d’elle, ne ravivaient rien en elle, donc elle pouvait, sans danger, révéler sa lumière. Avec nous, sombre et orageuse, avec eux, douce et patiente. Elle était adorée de beaucoup, et pour cause. D’une générosité rare, elle aimait faire plaisir.

Ses deux visages étaient aussi « vrais » l’un que l’autre. Elle était formidable ET elle était toxique.

Ne serions-nous pas tous ainsi, finalement? Ne sommes-nous pas tous fragmentés, à des degrés plus ou moins extrêmes?

Ma mère avait été ange et démon, elle ne l’était plus. Elle s’était rassemblée en un point de lumière, qui avait absorbé ses ombres les plus opaques.

Elle n’était plus qu’amour.

 

Dans le sillage, s’efface le passé dépassé

 

Autrefois incapable de m’écouter, parlant en boucle sans interruption, agressive, elle m’interrogeait maintenant et écoutait mes réponses, silencieuse, attentive, totalement présente, yeux dans les yeux. Maintenant, nos échanges étaient profonds, sincères, faciles, agréables.

De négative, plaintive, culpabilisante, elle est devenue aussi sereine et aimante qu’un Bouddha. Et si drôle ! Son humour décapant faisait le bonheur de son médecin et du personnel soignant. Que d’éclats de rire avons-nous partagé alors qu’elle savait qu’elle n’en avait plus pour longtemps.

Je me souviens d’une crise de fous rires, alors que je douchais son corps squelettique. Elle était si fragile que je devais ralentir chacun de mes gestes, être totalement investie dans le moment présent, faire preuve de la plus grande délicatesse.

Comme j’ai aimé m’occuper d’elle, gratuitement, dans la pureté du don. Ce furent des moments de complicité extraordinaire. Elle qui était si pudique et si farouche de son autonomie. elle me faisait totalement confiance. Son abandon me bouleversait. Que sa propre fille la douche parce qu’elle ne pouvait plus le faire aurait été une honte autrefois. Ma mère m’a nourrie et m’a lavée quand j’étais bébé, à mon tour de le faire. On en riait, ensemble.

Autrefois rejetante, elle était maintenant joyeuse, heureuse. Elle caressait mon visage tendrement. J’étais subjuguée par ce geste inédit pour moi, et par son regard si aimant.

L’impossible devenu possible. Elle l’a fait, simplement, sans effort, sans attente de glorification, sans même la conscience d’avoir réussi là un exploit, sans méthode ou thérapie particulière. Deux jours avant de la retrouver, alors que l’infirmière m’avait prévenue qu’il fallait que nous nous préparions : « Il ne lui reste que quelques mois, pas plus »… je ne savais pas que celle que je croyais revoir, ma mère d’autrefois, n’existait plus.

Je ne regrette pas d’avoir vécu un passé différent, où elle aurait été la mère idéale toute ma vie. Tout était parfait dans l’instant. D’ailleurs, si le présent était si merveilleux, c’est parce que justement le passé avait été tel qu’il avait été.

 

Dépouillement et vérité

 

La mort est un dépouillement de tout ce qui n’est pas vous, dit Eckhart Tolle.

 

Autrefois, elle qui ne supportait pas que l’on déplace ou que l’on déblaye son appartement envahi du sol au plafond, maintenant, elle me demandait de tout donner. « Je n’ai besoin de rien. Ai-je été folle pour m’encombrer autant ? »

Elle donnait tout. Même son corps, elle l’a donné à la science. Sa générosité était sans limite.

J’ai toujours été ce qu’on appelle une minimaliste, et une nomade. Face à la mort, ces deux notions me semblaient d’autant plus justes pour moi. De passage ici, rien ne m’appartient. J’aime vivre dans cette conscience que l’essentiel, c’est ce que j’emmènerai avec moi dans la mort. Rien d’autre.

Ma mère me confirmait le chemin : ce minimalisme doit s’étendre sur tous les pans de ma vie, surtout mes identités à abandonner, et les souvenirs qui pouvaient encore m’alourdir, comme des rancoeurs, ou des nostalgies. enlever, plutôt que rajouter. Se dépouiller ramène au Tout. M’alléger toujours plus me va bien.

 

Quand le présent guérit le passé

 

La maltraitance est une maladie contagieuse, qui peut se transmettre de génération en génération, sans comprendre que nous pouvons à un moment donné nous en débarrasser à jamais.

Ma mère pour sa part, était née au mauvais moment, à la mauvaise place : dans le système patriarcal du Vietnam, naître après deux garçons morts en bas âge est l’entrée immédiate en enfer. La fait même d’exister était son problème.

Alors, bien sûr, je comprenais ses raisons d’exploser dans des crises imprévisibles et violentes, le fait qu’elle projette sur ses propres enfants l’image détestée d’elle-même. Non, je ne pouvais pas lui en vouloir. Je comprenais tout, même son obsession à récupérer les objets cassés et abandonnés, dans la rue, dans les poubelles, dans les vide-greniers, surtout les poupées, qu’elle rafistolait comme pour réparer ses propres blessures d’enfant.

Comment s’est-elle débarrassé de son ancienne identité ? Progressivement? Soudainement? Etait-ce une révélation? Probablement un déclic, car quelques jours avant nos retrouvailles, elle était encore celle que je croyais connaître. Elle ne me l’a pas expliqué. Je ne le saurai jamais. Qu’importe. J’étais émerveillée, comme elle l’était en me regardant, enfin, vraiment.

 

Le potentiel d’une autre histoire 

 

Nous le savons, le souvenir est malléable. Notre mémoire est sélective parce qu’il est évident que nous ne pouvons pas tout garder. Que l’on minimise ou que l’on dramatise, rien n’est tout à fait comme nous l’avons vécu. Nous pouvons sélectionner de nouveaux éléments et transformer nos souvenirs en une nouvelle histoire.

Changer de perception peut tout changer ; c’est là notre libre arbitre.

Je contemple les centaines de photos que ma mère a gardées. Lesquelles vais-je garder pour réécrire mon passé? Sur toutes ces photos, je vois une  famille idyllique, nous sommes souriants, l’air heureux, dans la nature, à la maison, ou avec des amis. Pourtant…

Avec la transformation de ma mère, je ne les vois plus comme avant. Comme un film qui commençait mal et qui se finit bien : une fois connu dans sa globalité, l’histoire devient une belle histoire, de bout en bout.

Je juxtapose sur les portraits de ma mère la femme que j’ai côtoyée dans ses derniers jours. Je m’absorbe surtout dans ceux où je n’existais pas encore pour elle. Nous ne nous connaissions pas. Etrange d’en prendre conscience.

L’une de ces photos m’émeut beaucoup : elle marche dans une rue d’Oran. C’est en Algérie, où elle vivait après avoir fui sa famille, qu’elle a rencontré mon père qui faisait son service militaire là-bas. Une histoire qui fut destructrice par la suite, pour tous les deux, mais qui fut une belle histoire d’amour au départ.

 

Avec-vous remarqué que nous avons toujours l’impression que nos parents sont nés parents en même temps que nous? L’avant-nous est très flou. Nous savons que nos parents existaient, il y a les photos, les histoires, enfin, ce qu’ils veulent bien nous dire, Et, pendant ce temps, où étions nous?

Le mystère de « l’avant-moi ». m’obsédait enfant. Quand j’avais 4 ou 5 ans, j’interrogeais tout le temps: « Maman, j’étais où avant d’être dans ton ventre? »  Cette question lancinante provoquait en moi de grandes angoisses. Ensuite, elle m’a suivie comme un fil directeur, me poussant à explorer toujours plus profondément la source de mon être, et de celle des autres.

Aujourd’hui, à cette grande question du Qui Suis-Je, je ne cherche plus vraiment de réponse. J’ai décidé que seul le voyage comptait. Quant au point de départ, mes origines, c’est forcément inscrit en moi. La réponse est déjà là,je la connais au fond de moi.

Pour l’heure, vivre est suffisant. Vivre est la seule chose à… vivre. 

 

Jusqu’au jour où…

 

Depuis des années, j’avais appris à dompter mes propres colères, transmises par ma mère. Tant que la coque du navire était solide, tout allait bien. Mais à la moindre avarie, à la moindre voie d’eau, s’engouffrait alors la vague enragée, incontrôlable, emportant tout sur son passage.

Jusqu’au jour où…

Je suis devenue à mon tour mère. Une étape qui appelle irrésistiblement, comme celle de la fin de vie, à la transformation, au réajustement de Soi. C’est étonnant comme les deux bouts de notre existence se rejoignent : nous naissons à la vie terrestre, puis nous naissons à la vie « céleste ».

Devenir mère. Surtout ne pas reproduire le cycle infernal familial, surtout ne pas intoxiquer mon fils avec ce poison transmis depuis trop longtemps. Je devenais responsable de la lignée à venir. Je devais détruire ce schéma familial. Je m’y suis attelée. D’une certaine manière, c’est ma mère qui m’a poussée sur le chemin de la libération.

Mes rêves me guidaient et me montraient comment apaiser le feu en moi. Apprendre à m’aimer et à me parler gentiment, sans plus reproduire ce que j’avais vécu enfant. Au fil du temps, j’ai arrêté de me maltraiter. Les cauchemars sanglants et violents qui m’avaient accompagnée depuis mon enfance, ont peu à peu disparu de mes nuits. Je m’apaisais en suivant les conseils de mes rêves, nuit après nuit.

Mon seul maître, mes rêves.

 

Garder l’équilibre

 

Avec ma mère, parallèlement, j’avais réussi à installer une distance qui me convenait, sans attente, sans rancoeur, sans reproches, et sans culpabilité. Mon amour pour elle était là, mais en dormance.

J’ai pris conscience que finalement, elle m’avait permis de découvrir l‘indépendance et l’autonomie. Apprendre à être bienveillante avec moi-même, fut le défi qu’elle m’a lancé. Elle était incapable d’être en amour avec elle-même, comment lui demander de prendre la responsabilité de manifester l’amour qu’elle n’avait pas reçu, ni appris à donner?

Un déséquilibre pousse toujours à retrouver l’équilibre.

Apprendre à m’aimer fut le cadeau d’une enfance dysfonctionnelle. Finalement, en m’éloignant d’elle, je la libérais du poids de mes attentes, et je prenais la responsabilité de grandir par moi-même.

Elle n’était plus la cause de mes problèmes mais le tremplin d’une évolution désirée.

 

 

La leçon du pardon

 

Il a fallu quelque mots, prononcés par ma mère six mois avant sa mort, pour que tout mon amour rejaillisse. Je redécouvrais les sentiments d’une petite fille à qui sa mère avait tant manqué. Je l’avais adorée quand j’étais petite, et là, je retrouvais soudain tout l’amour innocent de l’enfant que j’avais été.

« Pardon pour tout le mal que je vous ai fait… Je ne savais pas … » Les larmes coulent sur ses joues fripées, en même temps qu’elles effacent en une seconde l’ardoise sur laquelle était inscrite une si lourde histoire. Les mauvais souvenirs ont disparu, comme par magie. Il a suffi de quelques mots inattendus, et tout a changé. Tout. Instantanément. Je ressens encore en moi le moment de la bascule.

Il y eut un avant et un après.

Ont remonté soudain les seuls bons moments, les petits instants de joie, les furtives marques de tendresse, ses savoureux plats vietnamiens qu’elle aimait nous cuisiner. Ce peu était tout ce qui comptait désormais, et remplissait tout mon passé avec elle ; non, je n’aurais pas voulu d’une autre mère.

Je me rappelle cette phrase que j’ai lue quelque part : « Nous ne recevons pas de la vie ce que nous voulons, mais ce dont nous avons besoin ». J’avais eu besoin d’une mère comme elle. elle était parfaite pour moi.

Après sa demande de pardon, elle n’a pas insisté. C’était fini. Inutile d’en rajouter. Elle m’a épargnée la culpabilité de la voir malheureuse en raison de ses erreurs du passé. Pour cela, je lui serai reconnaissante toute ma vie.

En place de la maltraitance contagieuse, maintenant, elle transmettait l’amour, déposant entre mes mains le cadeau de faire de même.

 

La maladie réparatrice

 

Ma mère est décédée d’une maladie auto-immune du foie, une sorte de cirrhose. Pourtant, elle ne buvait jamais d’alcool.

Dans la médecine traditionnelle chinoise, le foie est relié à l’émotion de la colère. Tiens donc… Sa colère aurait-elle provoqué sa maladie? Le lien entre sa maladie et sa colère est facile à déduire, car en même temps que le foie qui se dégradait, incapable de filtrer les toxines, sa colère elle, s’éteignait aussi. Le trop-plein se libérait.

Oui, je crois que nos façons de mourir en disent long sur notre histoire. Il n’y a pas de hasard.

Quant à son esprit, il ne cessait de se déployer et de rayonner toujours plus.

 

 

Mon outil pour réparer

 

A l’annonce de sa fin de vie, j’ai senti que j’avais encore quelque chose à accomplir avec elle.

Toute relation est construite à partir de nos projections, et si je devais changer quoi que ce soit, ce n’était pas notre relation au dehors, comme prononcer certaines paroles. Non, je devais changer la perception que j’avais d’elle. Je la voyais comme une femme qui avait fait ce qu’elle pouvait, avec ses limites.

C’était une belle étape, mas pas suffisante. Je devais aller plus loin.

 

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Yeux fermés, seule dans ma chambre, détendue. Je décide de parler à ma mère.

J’imagine un havre de paix, au bord de la mer, où je l’accueille pour ce dialogue. Je lui demande intérieurement si elle veut bien m’écouter. Elle accepte. Je suis consciente que j’accueille autant ma mère physique, que ma mère intérieure. Celle à qui je parle est en réalité celle que je porte en moi, le personnage que j’ai construit par ma projection sur elle, la pensée que j’en ai.

Je répare avant tout ma relation à moi-même.

J’ai à changer de regard sur elle, ne plus projeter sur elle la vision limitée d’une femme en souffrance. Ce n’est pas de compassion dont elle avait besoin, ni de mon pardon – elle l’avait déjà. Non, elle et moi avions besoin d’un regard neuf sur notre relation, qui dépasserait nos identités limitées, un regard de reconnaissance de qui nous étions vraiment au delà des apparences.

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Chère âme magnifique qui a si bien joué le rôle de mère pour moi

Aujourd’hui, je voudrais t’honorer pour m’avoir « élevée » au sens propre et figuré.

D’abord, merci. Merci pour l’indépendance, la force et l’amour de moi-même que tu m’as amenée à découvrir, merci pour m’avoir appris à traverser les tempêtes et m’avoir montré que finalement, on se relève de tout.

Grâce à toi, j’ai appris à garder l’équilibre quand le bateau chavirait, à remonter seule à bord quand je chutais, à tenir le cap quoi qu’il arrive, à trouver les ressources en moi quand je n’étais pas soutenue. J’ai trouvé le goût de la liberté, le plaisir de l’autonomie.

Toi qui étais médium et curieuse de sujets atypiques, tu m’as dans le même temps ouvert la porte sur des domaines passionnants qui sont devenus mes outils pour tenir le cap. Finalement, la solution était sous mes yeux, au coeur du problème : l’ésotérisme, la psychologie, la parapsychologie. Le premier livre sur les rêves que j’ai lu venait de toi. J’ai appris de toi ce qui allait me sauver de toi.

Tu étais une femme moderne, ouverte sur le monde, et avant-gardiste. Une voyageuse, qui sait vivre au jour le jour, sans savoir de quoi sera fait demain, sans planification; qui ne suit jamais les rails des autres. Tout cela aussi je l’ai hérité de toi. 

Ce voyage tempétueux avec toi, sans calme plat, m’a permis de plonger dans mes profondeurs. Je suis devenue le capitaine de ma vie.

Je crois/je sais, que tu es une grande âme, incarnée dans un corps pour faire des expériences, comme moi. Je sais que nous co-créons ensemble pour explorer, apprendre, relever des défis, créer. Notre odyssée fut éprouvante, mais ô combien passionnante, riche, unique. Plus qu’une mère, tu es mon amie. 

Ainsi je nous réhabilite toutes les deux dans notre véritable dimension, indestructibles, éternelles, sans limitations. 

Et si tout est Un, alors nous sommes unies à jamais, étincelles d’une même source de lumière, et nous sommes à la fois ici et partout. 

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A la fin de ce dialogue, quelques semaines avant son départ, j’ai ressenti un doux sentiment d’accomplissement. Je n’attendais rien de ma mère extérieure. Je ne savais pas encore que le 7 décembre 2023, je tiendrai effectivement  sa main, pour l’accompagner jusqu’au bout du chemin.

Maintenant, je sens que c’est elle qui tient ma main dans la sienne.

 

 

C’est toujours le bon moment

 

L’idéal est d’entamer ce dialogue dès à présent, avec ceux dont nous avons à réparer des relations. Si nous le faisons avec sincérité, sans attente, sans intention de changer la personne en question, alors oui, il peut y avoir des effets réels sur les personnes concernées. Nombreux sont mes patients qui m’ont fait part de tels changements après une séance de ce type.

Encore une fois, c’est notre propre perception de la relation qui est à réparer, non l’autre personne.

Vous pouvez aussi dialoguer avec des personnes déjà décédées. Il n’est jamais trop tard, car les relations perdurent en nous. Et qui sait, il y aura peut-être des effets sur les esprits où qu’ils se trouvent.

 

Récapitulé de la procédure :
  • Créez pour cette rencontre intérieure le plus beau cadre qui soit. Soyez accueillant, le cœur ouvert. Sincère. Intense.
  • Durant le dialogue, restez connecté à la personne concernée, ne vous en dissociez pas, ce n’est pas un dialogue dans le vide. La personne en question est vraiment là.
  • Observez son attitude, comment elle change au fur et à mesure que vous parlez. Imaginez-là dans sa splendeur, dans sa plus belle posture, et mieux, sous forme de lumière plutôt que de corps. Elle est capable de vous entendre, de vous accueillir inconditionnellement.

Essayez dès aujourd’hui, sur une personne de votre choix, vivante ou décédée. Faites le sur plusieurs jours si vous sentez des résistances. Ne forcez pas. Des petits pas sont l’idéal. Le processus s’intègre, se mûrit.

Si vous sentez du soulagement et une douce légèreté ou de la joie après la séance, c’est le signe que le dialogue a abouti. Inutile alors d’insister au risque de maintenir ce dont vous désirez vous délester.

 

Un héritage inestimable

 

De la fin de vie de ma mère, je retiens des leçons qui m’accompagneront jusqu’à mon propre départ. Ce fut son seul héritage, mais le plus précieux qui soit.

  • L’amour attire l’amour. La douceur attire la douceur.
  • Il n’est jamais trop tard. Tout est toujours possible. Nous pouvons tout réparer, à n’importe quel moment.
  • Il n’y a pas de temps à perdre : c’est maintenant où jamais. N’attendons pas pour effacer les ardoises et ouvrir de nouvelles pages.
  • Un seul trouve la paix intérieure, et l’univers entier en bénéficie, puisque nous sommes Un. Laissons un bel héritage de paix aux générations à venir.
  • Rien n’a d’importance, à part l’Amour, partagé et exprimé. Je ne parle pas de l’amour médicament, celui qui impose ses attentes, ses besoins, et qui ne fait que gonfler et satisfaire l’ego. Je parle de l’état d’Amour, ou de Lumière – puisque amour vient du mot lumière – qui coule en nous naturellement, spontanément, sans forcer, et sans attente, simplement parce que c’est notre essence d’être.
  • La mort nous « ramène à la vie »: imprévisible ou pas, elle nous rappelle que la vie est partout, ici et maintenant, avec ou sans corps.
  • La seule question à se poser est celle-ci : si la mort venait m’emporter, là, maintenant, qu’emporterai-je avec moi? Chaque jour désormais, cette question m’accompagne, et la mort est devenue mon amie, pour la vie.

 

Si la mort n’existe pas, ne reste que la vie, qui se manifeste dans ses infinies possibilités, avec ses calmes plats, ses tempêtes, ses escales, et ses départs vers de nouvelles explorations. Et même si nous quittons le navire pour mieux changer de bateau, l’aventure se poursuit, passionnante, vers l’inconnu, si irrésistible.

Il y a la vie. Il n’y a QUE la vie. Franck Terreaux

 

Merci aux personnels soignants et accompagnants de fin de vie

 

À vous toutes et tous, chers personnel soignant et médecins qui vous êtes occupés de ma mère, MERCI pour votre douceur, vos sourires permanents, votre patience, votre humanité. Ma mère vous appelait « mes anges » en vous disant qu’elle voyait vos ailes. Vous rencontrer m’a rappelé combien les êtres humains peuvent aussi être aimants, sans attente de retour, même avec  des « inconnus ». Vous voir à l’oeuvre, jour après jour, m’a émue et changée.Vous m’inspirez. 

Même si vous oeuvrez dans l’ombre, humblement, votre lumière, je le sais, rayonne à l’infini.

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